jueves, 28 de julio de 2011

Expliquons-nous

Vous demandez : Où sont les lilas ?
Et la métaphysique couverte de coquelicots ?
Et la pluie aux mots criblés
De lacunes et d'oiseaux ?
Voici :
Je vivais dans un quartier
De Madrid avec des cloches,
Avec des horloges, avec des arbres.
De là on voyait au loin
Le visage sec de la Castille
Comme un vaste océan de cuir !
Ma maison s'appelait
La maison des fleurs. De tous côtés
Jaillissaient des géraniums ; c'était une belle
Maison
Avec des chiens et des enfants
Raoul, tu te souviens ?
Te souviens-tu Raphaël ?
Frederico , te souviens-tu ?
Toi qui dors sous la terre,
Te souviens-tu de ma maison aux balcons
Où la lumière de juin étranglait des fleurs dans ta bouche.
[...]
Et un matin tout prenait feu
Un matin des brasiers
Sortirent de terre
Dévorant les hommes,
Et depuis lors le feu
La poudre depuis lors
Et depuis lors le sang.
Des bandits avec des avions, avec des Maures
Des bandits avec des bagues et des duchesses
Des bandits avec des moines noirs et des prières
Vinrent du haut du ciel pour tuer les enfants
Par les rues le sang des enfants
Courut simplement comme du sang d'enfant.
Chacals que les chacals repousseraient
Pierres que le chardon sec mordrait en crachant
Vipères que les vipères haïraient !
Devant vous j'ai vu le sang
De l'Espagne se soulever
Pour vous noyer sous une vague
D'orgueil et de couteaux.
[...]
Vous demandez pourquoi ma poésie
Ne parle pas du songe, des feuilles,
Des grands volcans de mon pays natal ?
Venez voir le sang dans les rues,
Venez voir
Le sang dans les rues,
Venez voir le sang dans les rues !

Pablo NERUDA, L'Espagne au coeur, 1938.

No hay comentarios:

Publicar un comentario